Carnets de grenier

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vendredi 17 février 2012

Ne confondons (ni ne jugeons) pas

Et sans arrêt la même antienne : Tout est différent, si différent… Il y a telle et telle chose ; ne confondons pas… Chacun se perd dans les nominalismes les plus enchevêtrés, au point de vouloir restituer en pensée l'étonnement du réel et laisser la théorie elle-même aussi interdite que la matière muette. Et pourtant… les mêmes qui s'esclaffent que tout n'est que cas particulier, nécessairement incommensurable à tout autre, se scandalisent aussitôt que telle chose distinguée plaît, que telle autre déplaît, et que, de fait, une hiérarchie éclot de la plus naturelle façon de leurs propres dires. Et ce n'est pas la contradiction qui les frappe ; c'est le fascisme latent dont est gros tout esprit critique, sitôt que l'on a vu qu'à vouloir séparer des choses, on court le risque de les classer.

Pour eux, il n'y a qu'un recourt : ne plus évaluer, ne plus apprécier, mourir comme la pierre… sauf s'il s'agit de haïr ce qui a commencé à juger d'abord. Double bénéfice : le mal étant déterminé, il suffit de voir à quoi il s'oppose, et le bien l'est du même coup. Je me méfie de la métaphysique, fut-elle nietzschéenne, mais ne s'agit-il pas là simplement de la définition même d'une morale réactive, du type d'homme réactif ?

vendredi 9 septembre 2011

Topor, Max Lampin

Topor, Max Lampin.

Ils n'égorgent rien du tout, ils saillent

SharkyFilmMaker, Interracial, Deviantart.

«Ils viennent jusque dans nos bras ! Égorger etc.» Ce ne sont pas du tout les «féroces soldats» qui ravagent et détruisent la France mais bien les renforts négroïdes de notre propre armée. Pour être juste, ils n'égorgent rien du tout, ils saillent. Et c'est l’imprévu de la «Marseillaise» ! Rouget n'avait rien compris, la conquête, la vraie de vraie, nous vient d’Orient et d’Afrique, la conquête intime celle dont on ne parle jamais, celle des lits. Un empire de 100 millions d’habitants dont 70 millions de cafés au lait, sous commandement juif est un empire en train de devenir haïtien, tout naturellement. Sommes-nous complètement abrutis ? C’est un fait, par l’alcool et le métissage, et puis pour bien d'autres raisons... (Voir les Beaux Draps, interdits…)

Céline, 15 juin 1942, lettre à Henri Poulain de ''Je suis partout''.

mercredi 5 janvier 2011

N. Sarkozy, Le métissage contraint

Paint it Black

Discours de Nicolas Sarkozy à l’École polytechnique, le 17 décembre 2008.

Quel est l’objectif ? Cela va faire parler, mais l’objectif, c’est relever le défi du métissage ; défi du métissage que nous adresse le XXIe siècle. Le défi du métissage, la France l’a toujours connu et en relevant le défi du métissage, la France est fidèle à son histoire. D’ailleurs, c’est la consanguinité qui a toujours provoqué la fin des civilisations et des sociétés. Disons les choses comme elles sont, jamais le métissage. La France a toujours été, au cours des siècles, métissée. La France a métissé les cultures, les idées, les histoires. Et l’universalisme de la France n’est rien d’autre que le fruit de ce constant métissage qui n’a cessé de s’enrichir d’apports nouveaux et de bâtir sur tant de différences mêlées les unes aux autres un sentiment commun d’appartenance et au fond un patrimoine unique de valeurs intellectuelles et morales qui s’adressent à tous les hommes. La France, dans son histoire, ce sont des hommes tellement différents qui sont venus constituer la France. La France qui a su métisser ses cultures et ses histoires, en a construit, produit un discours universel parce qu’elle-même, la France, se sent universelle dans la diversité de ses origines.

Mesdames et Messieurs, c’est la dernière chance. Si ce volontarisme républicain ne fonctionnait pas, il faudra alors que la République passe à des méthodes plus contraignantes encore, mais nous n’avons pas le choix. La diversité, à la base du pays, doit se trouver illustrée par la diversité à la tête du pays. Ce n’est pas un choix. C’est une obligation. C’est un impératif. On ne peut pas faire autrement au risque de nous trouver confrontés à des problèmes considérables.

vendredi 2 avril 2010

Archischmock filme et blogue

Pour rappel, il s'agit de Monsieur.

Et maintenant, il blogue !…

Nouvelle dans le journal : deux homos se sont fait tabasser par des jeunes, ailleurs, il sera écrit : gamins, on nous relate ainsi la barbarie urbaine. Gamin, j’imagine un p’tit gars sympa, qui va à l’école, m’ouvre la porte voire me cède la place, un enfant sans histoires. Faux ! une bande de pitbulls enragés, un troupeau uniformisé des baskets à la capuche, des OGM humains, une bande de gamins ! Le mot se décompose, puis se recompose fortifié par l’humus médiatique, gamin devient gamin, comment les différencier ?

Deux pédés s’embrassent, un peu plus loin la meute adolescente se recroqueville prête à sévir. La racaille se rêve flicaille, sens des valeurs exacerbé, respect de la loi, leur loi, inspirée de la police des mœurs saoudienne. Voilà des flics parfaits, des flics de dictature. Ces gamins apprentis flics sont déjà accomplis, rien à envier aux tortionnaires d’Abou Ghraib, aux gardiens de Guantanamo. Ils sont pires que ceux qu’ils exècrent pour la bonne cause. Les coups de pieds joyeux cassent des côtes, défoncent une mâchoire, éclatent une couille, des vociférations scandent : « je t’encule », et rebelote : ils haïssent les flics et sont les pires, ils vomissent les homos et seront les clients assidus des backrooms les plus glauques.

Quand le calvaire se termine, la nuée s’éparpille, mais ils se font prendre par les flics. Les gamins endossent le costume de gamin, celui qui est poussiéreux et dont ils ont une vague idée. Ils se font péteux, pleurnichent et quand l’inspecteur interroge l’un d’entre eux, ça donne à peu près ça: « Tu l’as cogné parce qu’il était homosexuel ? » Flairant le piège, le gamin ancienne mode balance ses oripeaux machinalement, se fait malicieux, esquive le crochet et tout à trac répond : «C’est pas vrai môssieur, je pensais que c’était des juifs ».

Sa chaîne Youtube.

samedi 6 mars 2010

Je m'aime, moi non plus

Un fait, pour commencer : les Français ne s'aiment pas. C'est un fait général, mais un des grands propos de ce blogue est de montrer qu'aujourd'hui comme toujours, selon le mot d'Aristote, il n'y a de science que du général (Seconds Analytiques, I, 31, 87b, 35 sq., Tricot dit universel plutôt que général.) Deux interprétations s'opposent, et m'ont longtemps semblé partiellement vraies ; jusqu'à ce qu'il me semble avoir trouvé le sens d'un tel paradoxe apparent, c'est-à-dire la raison unique et sous-jacente qui lie ensemble les deux termes de l'opposition.

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L'éthologue & l'évangile

Certes l'envie de mordre ne cesse nullement chez le chien auquel un autre demande grâce en lui tendant sa gorge. On a vu nettement, au contraire, qu'il voudrait bien mais qu'il ne peut pas. […]

Mais ne connaissons-nous rien de semblable dans le comportement humain ? Le guerrier d'Homère qui veut se rendre demande grâce, jette son casque et son bouclier, tombe à genoux et courbe la tête, tous gestes qui facilitent la mise à mort, mais en réalité la rendent plus difficile. Aujourd'hui encore, des vestiges symboliques de ces marques d'humilité subsistent dans beaucoup de gestes de politesse : s'incliner, ôter son chapeau, et, dans le cérémonial militaire, présenter les armes. D'ailleurs la demande de grâce des guerriers grecs ne semble pas avoir été très efficace ; les héros d'Homère ne se laissaient guère influencer et se montraient moins cléments que les loups. […] C'est l'œuvre de la morale traditionnelle et religieuse qui rend le chevalier chrétien aussi chevaleresque que l'est le loup obéissant uniquement à ces instincts et ses inhibitions naturelles. Quel étonnant paradoxe !

Il va sans dire que les inhibitions héréditaires et instinctives qui empêchent un animal d'utiliser sans réserves ses armes contre ses semblables ne constituent qu'une analogie fonctionnelle, tout au plus une pâle aube, et pour ainsi dire un précurseur phylogénétique de la morale sociale des hommes. L'éthologiste devra donc se montrer très prudent dans ses jugements éthiques sur le comportement animal. Je vais, malgré cela, porter un de ces jugements entâchés de sentiments : je trouve émouvant et admirable de voir que le loup ne veut pas mordre, mais plus encore de voir l'autre se fier à cette inhibition ! Un animal remet sa vie à la vertu chevaleresque de l'autre ! L'homme devrait bien en prendre de la graine. J'en ai, pour ma part, tiré une nouvelle et plus profonde connaissance d'une parole magnifique et souvent méconnue de l'Évangile qui n'éveillait en moi qu'un mouvement de contradiction : « Si on te frappe sur la joue droite… » Un loup m'a instruit : ce n'est pas pour que ton ennemi te frappe à nouveau que tu devras tendre l'autre joue, mais pour qu'il lui devienne impossible de le faire !


Konrad  Lorenz, Il parlait avec les Mammifères, les oiseaux et les poissons, « Les Armes et la morale », trad. Denise Van Moppès, Flammarion, 1968, pp. 200–202.

Attention : le mécanisme d'inhibition décrit ci-dessus ne fonctionne que chez les mammifères supérieurs.




mercredi 3 mars 2010

Boutang, conférence sur le Prince chrétien



Le plaisir de voir à l'œuvre l'esprit brillant de Pierre Boutang vaut bien une vidéo au son tout à fait exécrable.

mardi 23 février 2010

Houellebecq, une vie de vieux torchon

Du point de vue amoureux Véronique appartenait, comme nous tous, à une génération sacrifiée. Elle avait certainement été capable d’amour ; elle aurait souhaité en être encore capable, je lui rends ce témoignage ; mais cela n’était plus possible. Phénomène rare, artificiel et tardif, l'amour ne peut s’épanouir que dans des conditions mentales spéciales, rarement réunies, en tous points opposées à la liberté des mœurs qui caractérise l’époque moderne. Véronique avait connu trop de discothèques et d’amants. Un tel mode de vie appauvrit l’être humain, lui infligeant des dommages parfois graves et toujours irréversibles. L’amour comme innocence et comme capacité d’illusion, comme aptitude à résumer l’ensemble de l’autre sexe à un seul être aimé, résiste rarement à une année de vagabondage sexuel, jamais à deux. En réalité, les expériences sexuelles successives accumulées au cours de l’adolescence minent et détruisent rapidement toute possibilité de projection d’ordre sentimental et romanesque ; progressivement et en fait assez vite, on devient aussi capable d’amour qu’un vieux torchon. Et on mène ensuite, évidemment, une vie de torchon. En vieillissant on devient moins séduisant, et de ce fait amer. On jalouse les jeunes, et de ce fait on les hait. Cette haine condamnée à rester inavouable, s’envenime et devient de plus en plus ardente ; puis elle s’amortit et s’éteint, comme tout s’éteint. Il ne reste plus que l’amertume et le dégoût, la maladie et l’attente de la mort.

M. Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, J'ai lu, 2001 (Nadeau, 1994 pour l'édition originale), p. 114.

dimanche 21 février 2010

M.C.

Tant qu'y a du gazon, ça joue.

Ah la beauté sournoise ! La petite chose aux yeux bleus rayonnants, sans effets ni fanfreluches l'avait bien saisi par les couilles. Il n'avait pas eu même le temps de l'entreprendre, ni de savoir quelle occulte qualité en elle l'attirait, mais sitôt la nouvelle de son engagement découverte, il se maudissait d'avoir perdu son temps à soupeser ses raisons. Bras ballants, vit enflé, tête encombrée : le beau tableau clinique du pucelage, avec dix années de retard. Il avait du même coup un prétexte commode pour justifier ses moroses jongleries, et il s'y adonna bientôt sans mauvaise conscience.

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mercredi 6 janvier 2010

Usure

Fatty


« Quand donc le cocher, apercevant un objet digne d’amour […] celui des deux chevaux qui est docile aux rênes […] se contient pour ne pas assaillir le bien-aimé. Mais l’autre coursier n’est détourné ni par le fouet ni par l’aiguillon du cocher […] Quand arrive le terme convenu, comme ils font semblant d’oublier, il les rappelle à leur engagement, les violente, hennit, tire sur les guides et les oblige pour de mêmes propos à s’approcher du bien-aimé. Quand ils s’en sont approchés, il se penche sur lui, raidit sa queue, mord son frein et tire avec impudence sur les rênes. Frappé d’une émotion plus forte, le cocher alors se rejette en arrière comme s’il allait franchir la barrière, tire avec plus de vigueur le mors qui est aux dents du cheval emporté, ensanglante sa langue diffamatrice et ses mâchoires, fait toucher terre à ses jambes et sa croupe, et le livre aux douleurs. »
Platon , Phèdre, trad. M. Meunier, 254.


Elle était juste à la table à côté. Ses bras moelleux étiraient le tissage doux de son chemisier, et elle souriait sans conviction en parlant à une autre jeune fille assise en face d'elle. Ses cheveux blonds juvéniles, bien rangés, lui donnaient l'air d'une jolie petite ogresse.

Sa face épanouie était large et mobile, son sourire agréable. Il montrait que malgré toute cette chair qui l'encombrait, elle se savait désirable pour certains. Sa bouche fine et maussade trahissait pourtant qu'elle n'avait pas toujours accepté ce cul pesant et rond, sorte de lest monstrueux sur quoi se fondait sa stature ; mais elle redressait désormais les épaules en avançant sa poitrine épaisse.

Sa voix nerveuse lui parvenait en éclats indistincts, et il sentait, tout cela pesé, qu'elle se savait aimable parce qu'on l'avait aimé, sans doute avec cette sauvagerie qu'on réserve à celles qu'on saisit à pleines mains.

Elle se croyait avant cela disgraciée, et quand on l'avait prise sans ambages, après quelque stupeur, elle avait songé avec délice qu'on l'aimait malgré le tangage lourd de ses formes et l'enflure de ses cuisses blanches. Puis elle avait compris qu'on la désirait parce qu'elle était grosse, et si cela n'avait pas commencé par lui sembler déshonorant, elle savait maintenant qu'être aimé malgré, ou parce que, c'était le même pis-aller intolérable.

Quoique sa vie sexuelle fût désormais ouverte, et qu'on la devinait brutale, sans faux-semblants, elle avait conçu de cela quelque amertume, et rêvait sans doute, sous la couverture, à cette innocence supérieure, qui lui avait été ôtée tandis qu'un étranger lâchait, râlant, un peu de lui dans son ventre candide. Était-ce même arrivé en elle ? Tant d'artifices nous séparent de cette perspective au fond décevante, que cela même lui avait été probablement refusé.

Pourquoi cette liberté tant louée nous use-t-elle mieux que tous les maux que l'époque déplore ? Laissant là son verre, il sortit, fuma sa dernière cigarette, en pensant avec force à autre chose. Le soir était frais, les rues tranquilles ; puis le vin fit son office, et tout lui sembla enfin presque acceptable.

samedi 2 janvier 2010

Jean Dutourd, Sagesse gnomique





Quand j'étais gamin, c'est-à-dire en révolte contre tout, je m'amusais à triturer les proverbes. […] Je croyais, grâce à cet exercice, atteindre des sommets de pessimisme, ce qui plaisait beaucoup, car la jeunesse aime le pessimisme ; elle s'imagine, en le professant, qu'elle a plus de savoir que les vieux.
Je me trompais, naturellement. Les vrais proverbes sont plus pessimistes que les faux. C'est le trésor légué par des générations de petites gens qui se sont rudement heurtés au monde et qui ont constaté qu'on ne peut rien sur lui, ou peu de chose. […] C'est le grand cours de philosophie des humbles, les mille et une manières de se faufiler à travers l'existence quand on est pauvre et quand on est faible.
Je ne voyais rien de tel.
Étant un jeune bourgeois et, pis encore, un jeune bourgeois de gauche, je prenais les proverbes pour des leçons de morale bourgeoise, c'est-à-dire pour des blagues séculaires inventées dans le but de me rendre bête et craintif. Je détestais le passé, comme il se doit. À la rigueur, j'en retenais quelques héros : Philippe le Bel, Richelieu, Jean Jaurès, mais j'en répudiais les obscurantismes. […]
La société voulait me mettre, comme elle disait, « du plomb dans la tête » […] Du plomb ! Pourquoi pas de l'or ? On reconnaît là la ladrerie des bourgeois ! À moins que ce ne fussent leurs envies de meurtre devant ce qui leur était supérieur. […] J'écoutais avec délice les imbéciles faire des gorges chaudes sur la « sagesse des nations ». Je ne voulais pas de cette sagesse-là, moi, de cet esprit terre-à-terre, de ces petites vues, de cette école de prudence et de renoncement, je voulais à chaque instant brûler mes vaisseaux… quoique je n'eusse pas de vaisseaux, ni même de radeau, ni même de barcasse.
Je détaille un peu tout cela pour montrer comme on peut se tromper, quand on est jeune et que l'on croit au progrès, sur cette grande question du pessimisme, lequel, en fin de compte, est une clef du monde. On va chercher les vérités au diable, alors qu'elles sont sous nos yeux, bien rangées par les soins des hommes qui nous ont précédés sur la terre. On se croit un monstre et on s'aperçoit en vieillissant que la nature est bien plus féroce que vous, que l'on était qu'un bon jeune homme, et qui avait des illusions, comble de honte !
On comprend que la gauche n'aime le peuple qu'abstraitement, ou idéalement […]. De là son mépris pour les humbles qui composent les nations et qui en sont la grande voix anonyme. Cette voix dit sans cesse le contraire de ce que la gauche veut entendre. Si encore elle le proclamait avec fureur, si elle le criait ! Pas même. Elle le murmure avec des sourires résignés, avec humour, ma foi ! Ce réalisme ou ce cynisme est insupportable aux personnes qui nourrissent de grands rêves.

Jean Dutourd, « La grande Mémoire populaire », préface au Dictionnaire des proverbes et dictons de France de J.-Y. Dournon, Hachette, 1986.

jeudi 24 décembre 2009

Les Nains n'y changeront rien




Pour faire suite à la mention par Jack Marchal du nom de Léon Degrelle, un peu d'exaltation littéraire. Un des plus grands pamphlétaires, des plus grands écrivains français sans doute est belge, et il n'est pas même détesté ou maudit, mais simplement écarté. Pas esthète puisque politique, et pas accessible au jugement esthétique puisque profondément mauvais. – Il conviendrait de préciser qu'il y a le mal mauvais et le mal bon, dit transgressif… Il y aurait beaucoup à dire sur ce que cet exemple montre de l'immoralisme moral de l'époque, mais ce sera pour une autre fois.

Écarté donc. Pourtant il y a du Rousseau et du Joseph de Maistre chez Léon Degrelle, mais il y a aussi du Hitler – ceci devant sans doute, par quelque formidable tour de passe-passe rhétorique, annuler cela. La démocratie qu'il conchiait et qu'aujourd'hui l'on pare des milles vertus de l'évidence – que sont tristes les époques d'évidence ! et qu'elles servent mal ce qu'elles soutiennent… – ne vaut qu'en ce qu'elle pourrait faire entendre au peuple, c'est-à-dire à l'homme en entier, dans sa faiblesse et sa rudesse, cette beauté radicale, autonome mais incarnée, purement esthétique mais tout entière politique, d'un texte immoral, haineux et génial, en un mot d'un texte fou et sans égal dans son ordre.

Mais la démocratie réelle en reste là-dessus aux ravachols du pétard mouillé, et refuse au peuple – qu'elle prétend autonome tant que cela n'implique pas de libertés concrètes – tout ce qui est grand, pour lui opposer ce qui est bon, et qui par malheur, est petit et bien laid. La liberté pour quoi faire, si ce n'est pour faire entendre ce qui est inouï ? La démocratie pour quoi faire, si ce n'est pour donner à tous le sentiment enfin vif, enfin épuré des scories moralisatrices, des prêches, des religions qui s'ignorent, le sentiment tout simple et par lui-même si vrai du sublime ? Quitte à connaître enfin ce qu'on prétend haïr par humanité, au risque humain de l'aimer aussi par côtés.

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mercredi 23 décembre 2009

Merci


Hergé, Quick & Flupke

On prend quelques vacances et tout s'éclaire. Maintenant que je n'ai plus à supporter tout ce que je déteste, je m'en fous et je comprends comment j'ai pu faire pour ça pendant si longtemps. Je comprends surtout tous les moralistes du bon sentiment qui m'en veulent de ne pas supporter ce qu'ils supportent eux-mêmes – belle tolérance que voilà ! En réalité ils ne supportent rien, ils s'en foutent seulement. Comme c'est pratique et reposant de faire mine d'acquiescer à ce qu'on ignore !

Il y a plus d'acceptation dans mes vitupérations haineuses que dans leur inconscience, car lorsque je hais, je suis plus proche du réel que quand ils aiment… leur amour est formel (les étrangers en soi, les minorités opprimées en soi… mais les étrangers véritables, qu'on croise dans la rue, rue de Marseille à Lyon, à Bordeaux Nord, à Chapelle ou dans les quartiers du Nord de Marseille ? Mais le refus de s'intégrer, la volonté de donner honte à la majorité qui refuse d'en accepter plus tandis qu'elle n'a rien demandé, ça c'est autre chose…)

Qu'on touche deux mots de la culture arabe pour dire que c'est quelque chose de merveilleux, et on acquiescera. Qu'on dise autre chose, même avec grande modération et retenue, et on se récriera sur l'air de l'évidence : mais enfin, ce dont vous parlez n'existe pas. C'est qu'on joue les Arabes en soi contre les Arabes réels quand le réel est moche, mais quand on croit voir quelque chose de bon dans les Arabes tels qu'ils sont ou même dans l'idée qu'on s'en fait, là les portes sont ouvertes à toutes les gâteries baveuses. Étrange réalité qui ne supporte que d'être louée, et pas flétrie ! Soit les choses sont bonnes et alors elles existent, soit elles ne le sont pas, et sont alors illusoires, et toute idée de jugement est rejetée. Juger l'autre autrement qu'en bien ? Mais enfin, vous n'y pensez pas ! Dire du bien de ce qu'on ignore, ça par contre…

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dimanche 20 décembre 2009

L'Ironie de l'histoire






D'où vient la fascination qu'exercent les rats noirs en général et Anthracite
[héros maléfique de la BD de Macherot, Chlorophylle, qui est un rat] en particulier sur les gens tels que nous ?

Le tout est de savoir de quel « nous » il s'agit. Le « nous » d'il y a 50 ans ou un siècle aurait rejeté avec effroi ce symbole d'amoralité démoniaque. Le « nous » d'aujourd'hui le révère. C'est qu'entre les deux nous sommes passés du stade normatif au stade subversif. Pardon pour la digression, mais il faut rappeler que les théoriciens nationalistes (acceptons cet adjectif, l'invariant qui traverse notre histoire reste la référence à la nation, prise au sens étymologique) des années 20 ou 30 proposaient des systèmes complets allant d'une éthique individuelle jusqu'à une conception de l'État ; leurs idées étaient candidates au pouvoir, elles se battaient contre d'autres conceptions, c'était projet contre projet (voire projectile contre projectile). C'était le temps des idées simples forgées dans l'urgence et des ambitions constructivistes (ou re-constructivistes, dans le cas des maurrassiens et plus généralement de tous les traditionalismes, aussi organicistes qu'ils se veuillent). Depuis, sans devenir beaucoup plus malins, nous avons quand même appris des choses. Nous étions jadis en concurrence avec les marxistes sur le terrain de l'enthousiasme révolutionnaire, l'échec de leur totalitarisme nous a guéris. D'être écartés de l'espérance du pouvoir nous a fait un bien fou. Chez nous, plus personne de sérieux ne songe à dresser une société hiérarchisée rigide et froide, vierge de tout conflit interne. Nous avons appris la nécessité des oppositions entre idées et individus, des luttes de castes, de races et de classes (mais oui). Nos ennemis nous prennent encore pour des SA des années 30 et c'est tant mieux, il ne faudrait pas se réjouir si l'adversaire devenait intelligent. Nous connaissons la valeur de la révolte mais aussi ses limites. Nous savons très bien que si nous étions au pouvoir nous résoudrions un certain nombre de problèmes, que d'autres continueraient à se poser et que nous en susciterions d'inédits. A notre façon, nous sommes devenus plus libertaires et démocrates que nos ennemis, tout en demeurant conscients des paradoxes et contradictions que recèlent libertés et démocratie. Nous savons mieux que personne la valeur de la fonction critique ? même violente et vulgaire… Après tout, nos idées valent mieux que d'autres qu'on se batte pour elles, et nous avons aujourd'hui face à nous le pire totalitarisme de l'histoire, l'absolutisme de la Loi (celle qui n'en respecte aucune). Et donc : l'urgence est à la subversion, par tous les moyens même rigolos. Le tournant du normatif au subversif a été amorcé il y a longtemps (Degrelle a été un précurseur, et Céline dans un autre registre), et n'a vraiment pris dans la mouvance militante qu'au cours des années 70. Le Pen ne s'y est fait qu'au milieu des années 80 (c'est alors qu'il a décollé, pas un hasard) et Mégret demeure normatif comme la pluie. Le mode subversif est une question de ton et de contenu à la fois. Dans le contexte présent, rien n'est plus subversif que de rappeler la dimension passionnelle et animale de la nature humaine, a fortiori quand on le fait dans la bonne humeur (ce que la gauche moralisante ne pardonnera jamais à Gérard Lauzier ou Michel Houellebecq). Face à la pure volonté de puissance d'un prédateur hilare et sans scrupule tel qu'Anthracite, que valent les calembredaines sur la conscience universelle, le devoir de mémoire et l'éthique des Droits de l'Homme ?


Jack Marchal, dessinateur historique du GUD, et inventeur du rat noir, interrogé in Devenir, 13.
cf. aussi Les Rats maudits : histoire des étudiants nationalistes.

lundi 19 octobre 2009

Marcel Aymé, La déèsse aux mamelles déssechées


« Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée,
Qui de la mort fais un sein maternel,
Le beau mensonge et la pieuse ruse !
Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
Ce crâne vide et ce rire éternel ! »
— P. Valéry , « Le Cimetière Marin ».


Philippe de Champaigne, Vanité.

Quant à la philosophie, il [le scandale] est devenu rare depuis qu'elle a divorcé d'avec la théologie. Jadis, sous le règne des docteurs de l'Église, les spéculations de la pensée profane n'intéressaient pas seulement les spécialistes et les chiens de garde. La chrétienté y apercevait un reflet de paradis, l'alphabet d'un bonheur que la religion dispensait au compte-gouttes au prix d'humiliantes disciplines. Au treizième siècle, le public se ruait aux conférences d'Abélard comme on fait aujourd'hui à un tournoi olympique de football. Les tribunaux ecclésiastiques et les bulles fulminées se multipliaient pour étouffer le scandale sans cesse renaissant de la pensée libre. Dans la flamme des bûchers briller et la promesse des consolations gratis. La cause de l'esprit semblait être celle de l'homme. Devenu libre, la philosophie eut bientôt liquidé ce bazar d'espérances de sensibleries. Seules, les vérités raisonnables lui ont paru dignes de l'occuper. L'homme peut crever d'ennui et de désespoir, ce n'est pas son rayon. Aussi le public se désintéresse-t-il de cette pucelle glacée et de ses entreprises de faiseuse d'anges (sans compter qu'elle n'est pas commode à suivre, avec ses façons qu'elle a de dire les choses). Ce qui singulier, c'est que les philosophes trouvent naturelle cette indifférence du vulgaire et s'en félicitent comme d'un brevet d'inhumanité. Il est vrai qu'elle constitue un élément de sécurité pour la philosophie. Pourtant, tout espoir de scandale n'est pas perdu. Un jour viendra peut-être où les hommes commenceront à regarder de travers la déesse aux mamelles desséchées et ne supporteront plus de la voir travailler avec tant d'acharnement à dénuder leur misère.


M. Aymé , Silhouette du scandale, Grasset, 1973, pp. 182-183.


vendredi 9 octobre 2009

« Le Boucher » de Chabrol : carnage et état de nature


« Il faut que la bête meure, mais l'homme aussi doit mourir. »
— C. Chabrol , Que la Bête meure, 1969.


Chabrol, « Le Boucher », 1969.

Le Boucher de Claude Chabrol (1970) explore la question de la sauvagerie dans l'Histoire, et dans l'homme. Jean Yanne, boucher rogue d'un village frappé par une vague de meurtres sanguinaires, incarne cette présence de l'homme archaïque, de l'homme des cavernes en des temps civilisés. La sauvagerie n'est pas cet autre ancien que nous pouvons rejeter dans les abymes du temps, il est ce fond permanent d'humanité sur lequel toute élévation spirituelle et abstraite peut se construire.

L'institutrice (Stéphane Audran sic) figure à la fois cette élévation et cette faiblesse de notre société moderne, qui s'étant abstraite des conditions de la vie sauvage, croit en avoir fini avec l'homme primitif. Mais le boucher est cette figure ambiguë dont la fonction sociale est de perpétrer le sacrifice animal des bêtes pour que cette société sans violence puisse vivre. Ce sang animal fait écho au sang humain versé par le criminel, et le boucher, dans sa volonté de conquérir la jeune institutrice, en passe par des offrandes de gigots et de steaks, parties mortes et saignantes d'une bête qu'il dit avoir tué lui-même, rétablissant ainsi l'ordre ancien du mâle chasseur nourrissant les siens et celle qu'il convoite.

Mais c'est bien de l'état de guerre dont il ici est question, en dernière analyse, dans cette persistance du carnage. C'est à travers l'expérience traumatique de la guerre que les hommes redécouvrent l'invicible violence qui les accompagne à travers l'Histoire. Par là, la guerre elle-même ne fait que réveler à la civilisation un état sauvage toujours latent en l'homme.


« Car, tout comme la nature du mauvais temps ne réside pas dans une ou deux averses, mais dans une tendance au mauvais temps durant de nombreux jours, la nature de la guerre ne consiste pas en un combat effectif, mais en une disposition connue au combat, pendant tout le temps où il n'y a aucune assurance du contraire.  »

Hobbes , Le Léviathan, trad. Folliot, Université du Québec, « Les Classiques des sciences sociales », ch. XIII, p. 108.


Cette révélation personnelle est pour le guerrier devenu civil, et criminel, l'occasion d'un nouveau messianisme sanguinaire et sacrificiel. Si l'état civil est aussi potentiellement martial, et si l'ordre humain reste toujours essentiellement sanglant, le boucher et l'assassin sont deux instances d'une même nature, situées de part et d'autre et de la loi, dont le soldat accomplit l'union en permettant la transition de l'une à l'autre, précisément en ce que la guerre qu'il connaît suspend la loi commune pour lui substituer pour un temps la sienne.

Chabrol illustre à sa façon, dans ce film d'une beauté inquiétante, la vision hobbesienne d'un état de nature guerrier qu'on ne saurait réduire à un moment historique : la sauvagerie est toujours avec nous, elle est l'état naturel de l'homme, et non simplement un « état de nature ».


« Il peut sembler étrange, à celui qui n'a pas bien pesé ces choses, que la Nature doive ainsi dissocier les hommes et les porter à s'attaquer et à se détruire les uns les autres […] Qu'il s'observe donc lui-même quand, partant en voyage, il s'arme et cherche à être bien accompagné, quand, allant se coucher, il ferme ses portes à clef, quand même dans sa maison, il verrouille ses coffres; et cela alors qu'il sait qu'il y a des lois et des agents de police armés pour venger tout tort qui lui sera fait. Quelle opinion a-t-il de ces compatriotes, quand il se promène armé,de ses concitoyens, quand il ferme ses portes à clef, de ses enfants et de ses domestiques, quand il verrouille ses coffres ? N'accuse-t-il pas là le genre humain autant que je le fais par des mots ? Mais aucun de nous deux n'accuse la nature de l'homme en cela. Les désirs et les autres passions de l'homme ne sont pas en eux-mêmes des péchés. Pas plus que ne le sont les actions qui procèdent de ces passions, jusqu'à ce qu'ils connaissent une loi qui les interdise, et ils ne peuvent pas connaître les lois tant qu'elles ne sont pas faites, et aucune loi ne peut être faite tant que les hommes ne se sont pas mis d'accord sur la personne qui la fera.

Peut-être peut-on penser qu'il n'y a jamais eu une telle période, un état de guerre tel que celui-ci; et je crois aussi que, de manière générale, il n'en a jamais été ainsi dans le monde entier. Mais il y a beaucoup d'endroits où les hommes vivent aujourd'hui ainsi. […] Quoi qu'il en soit, on peut se rendre compte de ce que serait le genre de vie, s'il n'y avait pas de pouvoir commun à craindre, par celui où tombent ordinairement, lors d'une guerre civile, ceux qui ont précédemment vécu sous un gouvernement pacifique. »

Idem, p. 109.


mardi 6 octobre 2009

Généralités III : finitude et apparences


Borrell del Caso, « Échapper à la critique ».

Rappels :
Généralités I : de leur possibilité.
Généralités II : de leur nécessité.




Voici donc la généralité rétablie dans sa dignité : elle est possible — car elle supporte et suppose l’exception, en ce qu'elle n’est pas logique dans sa nature — et même nécessaire — car nous ne saurions prendre le temps d’examiner chaque objet du monde pour plonger jusqu’au cœur de son essence propre : nous devons au contraire nous hâter de vivre et de juger.

Nous sommes finis : nous seulement car nous sommes mortels, et que notre temps pour penser et agir est limité, mais aussi parce que notre esprit ne contemple pas directement le vrai, mais peut seulement le chercher dans un jeu dialectique, indirect, réfléchi. La question du temps mis à part, si notre entendement était sans limites, il n’y aurait rien à approcher, rien à déjouer : nous nous contenterions de cette contemplation sans intermédiaire. Mais puisque nous sommes loin de posséder cette faculté d’intuition surnaturelle, nous devons nous contenter, le plus souvent, de ne pas voir l’essence dernière des choses que nous étudions.

Sur quoi s’appuient nos connaissances, si l’essence est invisible, et qu’il est nécessaire de faire comme si elle était ne l'était pas ? Nul n'étant tenu à l'impossible, il faut en passer par la croyance aux phénomènes, autrement dit par l’apparence.

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jeudi 1 octobre 2009

Généralités II : de leur nécessité


« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. »
— Attribué à Arnauld Amalric , pendant le sac de Béziers.


Sac de Béziers.

Rappel : Généralités I : de leur possibilité.

Nous n'avons fait jusqu'ici que rendre légitime la question de la généralité, en écartant le totalitarisme moral (c'est mal) ou logique (l’existence de cas particuliers exclut de fait toute généralité acceptable). Reprenons le problème de façon plus positive. En quoi généraliser est nécessaire ? Nous avons évoqué « l'embouteillage nominaliste » : détournons, pour expliciter plus précisément ce que recouvre l'expression, une des formes de pensées les plus utilisées pour étayer ce nominalisme épais.


« […] ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c'est-à-dire […] éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. […]
Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entresuivent en même façon, et que […] il n'y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu'on ne découvre.  »

— R. Descartes , Discours de la méthode, deuxième partie.


C'est d’un tel appel au canon géométrique que le refus commun de s’appuyer sur toute généralité semble tirer sa légitimité. D'aucuns imaginent en effet que la méthode scientifique — mal comprise — permettrait une réforme définitive de tout mode de pensée non scientifique, c'est-à-dire que la rigueur méthodologique de type scientifique permettrait aux sciences humaines de sortir du laïus pour entrer dans le domaine balisé du discours véridique.

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lundi 28 septembre 2009

Généralités I : de leur possibilité


Tous Pareils ! (c'est plus simple)

Ante-Scriptum : Afin de comprendre d'où l'on veut en venir, un rappel général et synthétique.

Halte aux généralisations hâtives ! Tel est le credo bien fidéiste de notre époque sans foi, comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer, dirons-nous en citant Jacques Prévert. Mais une telle déclaration demeure trop complexe, trop réfléchie, en un mot, trop proche encore du réel, c'est-à-dire pas assez morale. Ce que nous dirions ce jour même, touchant les questions de généralités, de clichés, d'amalgames, se réduirait plutôt à ceci : c'est mal.

Tout est là, malheureusement. Dans un mouvement délirant d'entonnoir, de siphon de chiottes publiques, le nominalisme le plus grossier, c'est-à-dire le plus moralisateur, le plus conforme à l'invraisemblable simplisme de l'époque se résume en effet à cet anathème fait argument. Jean Roscelin s'en retournerait probablement dans sa tombe, s'il n'était pas déjà plié en quatre par le sérieux pathologique avec lequel ce beau monde qui crache sur le christianisme et toute sa subtilité casuistique a ressuscité le zombie méconnaissable du manichéisme. Tout ce qui n'est pas bon est mauvais, tout ce qui n'est pas mauvais est bon, et rien n'est exclu de cette alternative. Voilà donc la forme complète et développée de toute pensée morale actuelle chez le quidam, encore renforcée par la réduction de tout ce qui n'est pas tout à fait voire pas du tout moral (politique, recherche scientifique, philosophie) à la morale elle-même.

L'existence des races ? Ce n'est pas une question scientifique, mais bien une hérésie. La realpolitik ? Pas un problème politique, mais encore un oubli de la morale. La valeur esthétique du rap ou de l'art contemporain ? Pas un jugement esthétique, mais l'expression d'un fascisme rampant — le terme n'étant d'ailleurs jamais pris dans son acception politique, mais bien éthico-curetonnante. Libre à vous de faire la liste de ces glissements, elle est sans doute infinie pour peu qu'on détaille les questions que chacun d'entre ceux-là impliquent, en tout cas, elle ne cesse, jour après jour, de s'allonger.

La question de la généralisation doit exister de fait : parce qu'il faut bien penser la diversité des cas particuliers sous une idée générale, sans pour autant tomber dans le schématisme le plus grossier. Autrement dit : il faut sans cesse manœuvrer entre l'embouteillage nominaliste (tout est particulier, il faut tout penser au cas par cas) et l'aveuglement idéaliste (il n'y a que des règles générales, et aucun cas particulier). Dans le premier cas, il faudrait tout examiner jusqu'à la fin des temps avant d'agir ou de juger de quoi que ce soit avec une légitimité minimale, dans le second, on substitue à la réalité un cliché monochrome dans lequel tout est toujours tout blanc ou tout noir, toujours vrai ou toujours faux.

Ces deux erreurs, dans leur essence, n'en font d'ailleurs qu'une. Qui serait assez sot pour soutenir qu'il existe, hors la logique, des cas dans lesquels les lois générales sont simplement universelles et n'acceptent aucune exception ? Seuls ceux qui croient qu'il n'y a, d'un côté, que de l'universel, et de l'autre qu'une inclassable diversité. Autrement dit : des logiciens devenus fous comme notre époque en chie à la chaîne, sous les efforts cumulés d'une éducation-nationale-cul-bénie et d'une sous-culture moralisatrice.

Grâce à ce long processus de lavage de cerveau — et du colon — sans cesse recommencé, tout adulte en âge de donner son avis est selon toute vraisemblance acquis à tous les préceptes ridicules de l'égalité réelle, du relativisme dogmatique et de la foi-qui-n'ose-pas-dire-son-nom, et ne se prive pas de le faire savoir, dans un concert parfumé de flatulences onctueuses. On est pas loin du primitif Maman, viens voir le gros caca que j'ai fait : rien de ce qui se tire du modernisme béni ne saurait être en effet être dégoûtant ; l'époque est coprophage comme elle est infantile et narcissique. Aussi acquiesce-t-elle toujours : Oh mais tu en as fait un beau caca, maman est fière de toi mon chéri !

Ainsi, dire qu'il n'y a pas de règle sans exception, c'est empêcher, par principe, qu'il y ait ne serait-ce qu'une règle en dehors de la logique ; c'est aussi mécomprendre tout à fait ce qu'est une règle. L'exception confirme la règle : l'adage n'est ni stupide ni gratuitement paradoxal, il dit simplement qu'une règle générale, par définition, admet des exceptions, sans quoi, il n'y a pas de règle générale, mais bien une loi universelle. Il peut bien y avoir des pygmées géants, des femmes à barbe ou des Africains bridés : est-ce pour autant qu'on ne peut rien dire d'inverse, en général, concernant ses congénères ?

Sitôt prévenu de ces extrémismes absurdes et qui ne font qu'un, l'espace intellectuel est disponible pour une enquête empirique — et quant à elle, enfin potentiellement délivrée des a priori —, qui réponde à ces questions générales tout en les laissant ouvertes. Nous y reviendrons bientôt.



À venir : Généralités II : de leur nécessité.

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