« Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée,
Qui de la mort fais un sein maternel,
Le beau mensonge et la pieuse ruse !
Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
Ce crâne vide et ce rire éternel ! »
— P. Valéry , « Le Cimetière Marin ».


Philippe de Champaigne, Vanité.

Quant à la philosophie, il [le scandale] est devenu rare depuis qu'elle a divorcé d'avec la théologie. Jadis, sous le règne des docteurs de l'Église, les spéculations de la pensée profane n'intéressaient pas seulement les spécialistes et les chiens de garde. La chrétienté y apercevait un reflet de paradis, l'alphabet d'un bonheur que la religion dispensait au compte-gouttes au prix d'humiliantes disciplines. Au treizième siècle, le public se ruait aux conférences d'Abélard comme on fait aujourd'hui à un tournoi olympique de football. Les tribunaux ecclésiastiques et les bulles fulminées se multipliaient pour étouffer le scandale sans cesse renaissant de la pensée libre. Dans la flamme des bûchers briller et la promesse des consolations gratis. La cause de l'esprit semblait être celle de l'homme. Devenu libre, la philosophie eut bientôt liquidé ce bazar d'espérances de sensibleries. Seules, les vérités raisonnables lui ont paru dignes de l'occuper. L'homme peut crever d'ennui et de désespoir, ce n'est pas son rayon. Aussi le public se désintéresse-t-il de cette pucelle glacée et de ses entreprises de faiseuse d'anges (sans compter qu'elle n'est pas commode à suivre, avec ses façons qu'elle a de dire les choses). Ce qui singulier, c'est que les philosophes trouvent naturelle cette indifférence du vulgaire et s'en félicitent comme d'un brevet d'inhumanité. Il est vrai qu'elle constitue un élément de sécurité pour la philosophie. Pourtant, tout espoir de scandale n'est pas perdu. Un jour viendra peut-être où les hommes commenceront à regarder de travers la déesse aux mamelles desséchées et ne supporteront plus de la voir travailler avec tant d'acharnement à dénuder leur misère.


M. Aymé , Silhouette du scandale, Grasset, 1973, pp. 182-183.