Ces bourgeois éthérés sont en plus bons chrétiens, à ceci prêt qu'ils n'ont pas même le cran de la bêtise chrétienne (aimer ce qu'on ne connaît pas et ce qu'on connaît en même temps, et de la même manière, ça n'est pas déjà de l'aveuglement, et un refus de séparer le bon grain de l'ivraie ? – Mais les chrétiens revendiquent ce choix sans méconnaître sa faiblesse). Tandis qu'eux n'aiment que le proche, autant dire qu'eux-mêmes s'ils ont de la chance… leur désir de flagellation n'est d'ailleurs qu'un amour de soi boursouflé (j'aurais dû faire mieux car j'aurais pu faire mieux, parce que je vaux mieux que ça ; j'exige le meilleur de moi car je suis le meilleur). Leur suffisance est telle que le monde n'est pour eux qu'un prétexte à se montrer bon, surtout lorsque ça ne leur coûte rien ; d'ailleurs, le monde, ils n'y vont pas : le réel est toujours décevant diraient-ils s'ils étaient simplement capables de cynisme, derrière la couche grasse de leur bêtise hermétique.

Ces sagouins malfaisants qui n'aiment rien et prétendre aimer tout pervertissent tout usage positif du concept de tolérance et rendent les gens honnêtes, aux prises avec le réel, coupables d'intolérance – et avancent même l'explication : c'est parce qu'ils ne connaissent pas l'autre ! Réjouissant foutage de gueule… car oui, aujourd'hui, je m'en fous. Ayant ainsi accablé d'autres de leurs propres turpitudes, il leur est loisible de prétendre aimer ce qu'ils méconnaissent, et de détester ceux qui seraient coupables de ne pas aimer assez un réel que ceux-ci, précisément, connaissent.

Je comprends la force de la bourgeoisie : un peu d'espace entre soi et les autres, plus de promiscuité repoussante, ils sont indiscernables les recoins puants du réel : les étrangers malfaisants, les connards malappris et les futurs repris de justice sont loin, presque irréels. Les curés du bon sentiment, cloîtrés dans leur amour d'eux-mêmes, dans leur amour vide de l'autre, loin aussi. Je ne pense même plus à la France, de toute façon telle qu'elle est elle peut bien finir de crever, qui s'en soucie ? Il n'y a plus rien ou presque à sauver. On aime les mangas, Euro Disney, Moby plutôt que La Fontaine ou saint Augustin ? Pas mon problème.

Ceux qui doivent être sauvés se sauvent eux-mêmes, au détour d'une lecture, d'un film ou d'une rencontre. Les pourceaux continueront pourtant à jouir de leurs excrétions et à prendre cela pour un bain d'ambroisie, l'époque est ainsi faite que c'en est fini du catholicisme, qu'on est contraints au jansénisme voire au protestantisme, c'est la porte étroite et tant pis pour les damnés qui erreront devant le seuil – d'ailleurs ils errent en riant, c'est la damnation fun, d'autant qu'ils croient être sauvés lorsqu'ils se perdent, alors, que demander de plus ? C'est le symptôme du condamné qui profite du sac de jute qu'on lui serre sur le cou pour finir sa nuit tranquille. De ça aussi je m'en fous.

C'est facile d'être heureux : il suffit d'être un peu loin des autres. Alors merci à vous qui laissez détruire la culture qui vous a élevé au-dessus du niveau votre anus, merci à vous, venus d'ailleurs ou d'ici, bloqués à ce niveau sans espoir de rémission, qui la pillez en lançant des rires fous, merci à vous qui avez conscience de tout ça et qui ne dites rien, et empêchez d'autres de parler, pour ne pas « attiser la haine », merci à vous tous, parce que moi, pendant ce temps, je profite du cadavre, le cœur léger, et que je me branle à vrai dire de toutes vos mascarades. Je suis chez moi, et vous, vous, vous êtes ailleurs. Merci.