Fatty


« Quand donc le cocher, apercevant un objet digne d’amour […] celui des deux chevaux qui est docile aux rênes […] se contient pour ne pas assaillir le bien-aimé. Mais l’autre coursier n’est détourné ni par le fouet ni par l’aiguillon du cocher […] Quand arrive le terme convenu, comme ils font semblant d’oublier, il les rappelle à leur engagement, les violente, hennit, tire sur les guides et les oblige pour de mêmes propos à s’approcher du bien-aimé. Quand ils s’en sont approchés, il se penche sur lui, raidit sa queue, mord son frein et tire avec impudence sur les rênes. Frappé d’une émotion plus forte, le cocher alors se rejette en arrière comme s’il allait franchir la barrière, tire avec plus de vigueur le mors qui est aux dents du cheval emporté, ensanglante sa langue diffamatrice et ses mâchoires, fait toucher terre à ses jambes et sa croupe, et le livre aux douleurs. »
Platon , Phèdre, trad. M. Meunier, 254.


Elle était juste à la table à côté. Ses bras moelleux étiraient le tissage doux de son chemisier, et elle souriait sans conviction en parlant à une autre jeune fille assise en face d'elle. Ses cheveux blonds juvéniles, bien rangés, lui donnaient l'air d'une jolie petite ogresse.

Sa face épanouie était large et mobile, son sourire agréable. Il montrait que malgré toute cette chair qui l'encombrait, elle se savait désirable pour certains. Sa bouche fine et maussade trahissait pourtant qu'elle n'avait pas toujours accepté ce cul pesant et rond, sorte de lest monstrueux sur quoi se fondait sa stature ; mais elle redressait désormais les épaules en avançant sa poitrine épaisse.

Sa voix nerveuse lui parvenait en éclats indistincts, et il sentait, tout cela pesé, qu'elle se savait aimable parce qu'on l'avait aimé, sans doute avec cette sauvagerie qu'on réserve à celles qu'on saisit à pleines mains.

Elle se croyait avant cela disgraciée, et quand on l'avait prise sans ambages, après quelque stupeur, elle avait songé avec délice qu'on l'aimait malgré le tangage lourd de ses formes et l'enflure de ses cuisses blanches. Puis elle avait compris qu'on la désirait parce qu'elle était grosse, et si cela n'avait pas commencé par lui sembler déshonorant, elle savait maintenant qu'être aimé malgré, ou parce que, c'était le même pis-aller intolérable.

Quoique sa vie sexuelle fût désormais ouverte, et qu'on la devinait brutale, sans faux-semblants, elle avait conçu de cela quelque amertume, et rêvait sans doute, sous la couverture, à cette innocence supérieure, qui lui avait été ôtée tandis qu'un étranger lâchait, râlant, un peu de lui dans son ventre candide. Était-ce même arrivé en elle ? Tant d'artifices nous séparent de cette perspective au fond décevante, que cela même lui avait été probablement refusé.

Pourquoi cette liberté tant louée nous use-t-elle mieux que tous les maux que l'époque déplore ? Laissant là son verre, il sortit, fuma sa dernière cigarette, en pensant avec force à autre chose. Le soir était frais, les rues tranquilles ; puis le vin fit son office, et tout lui sembla enfin presque acceptable.