Tous Pareils ! (c'est plus simple)

Ante-Scriptum : Afin de comprendre d'où l'on veut en venir, un rappel général et synthétique.

Halte aux généralisations hâtives ! Tel est le credo bien fidéiste de notre époque sans foi, comme une jolie fille nue qui n'ose se montrer, dirons-nous en citant Jacques Prévert. Mais une telle déclaration demeure trop complexe, trop réfléchie, en un mot, trop proche encore du réel, c'est-à-dire pas assez morale. Ce que nous dirions ce jour même, touchant les questions de généralités, de clichés, d'amalgames, se réduirait plutôt à ceci : c'est mal.

Tout est là, malheureusement. Dans un mouvement délirant d'entonnoir, de siphon de chiottes publiques, le nominalisme le plus grossier, c'est-à-dire le plus moralisateur, le plus conforme à l'invraisemblable simplisme de l'époque se résume en effet à cet anathème fait argument. Jean Roscelin s'en retournerait probablement dans sa tombe, s'il n'était pas déjà plié en quatre par le sérieux pathologique avec lequel ce beau monde qui crache sur le christianisme et toute sa subtilité casuistique a ressuscité le zombie méconnaissable du manichéisme. Tout ce qui n'est pas bon est mauvais, tout ce qui n'est pas mauvais est bon, et rien n'est exclu de cette alternative. Voilà donc la forme complète et développée de toute pensée morale actuelle chez le quidam, encore renforcée par la réduction de tout ce qui n'est pas tout à fait voire pas du tout moral (politique, recherche scientifique, philosophie) à la morale elle-même.

L'existence des races ? Ce n'est pas une question scientifique, mais bien une hérésie. La realpolitik ? Pas un problème politique, mais encore un oubli de la morale. La valeur esthétique du rap ou de l'art contemporain ? Pas un jugement esthétique, mais l'expression d'un fascisme rampant — le terme n'étant d'ailleurs jamais pris dans son acception politique, mais bien éthico-curetonnante. Libre à vous de faire la liste de ces glissements, elle est sans doute infinie pour peu qu'on détaille les questions que chacun d'entre ceux-là impliquent, en tout cas, elle ne cesse, jour après jour, de s'allonger.

La question de la généralisation doit exister de fait : parce qu'il faut bien penser la diversité des cas particuliers sous une idée générale, sans pour autant tomber dans le schématisme le plus grossier. Autrement dit : il faut sans cesse manœuvrer entre l'embouteillage nominaliste (tout est particulier, il faut tout penser au cas par cas) et l'aveuglement idéaliste (il n'y a que des règles générales, et aucun cas particulier). Dans le premier cas, il faudrait tout examiner jusqu'à la fin des temps avant d'agir ou de juger de quoi que ce soit avec une légitimité minimale, dans le second, on substitue à la réalité un cliché monochrome dans lequel tout est toujours tout blanc ou tout noir, toujours vrai ou toujours faux.

Ces deux erreurs, dans leur essence, n'en font d'ailleurs qu'une. Qui serait assez sot pour soutenir qu'il existe, hors la logique, des cas dans lesquels les lois générales sont simplement universelles et n'acceptent aucune exception ? Seuls ceux qui croient qu'il n'y a, d'un côté, que de l'universel, et de l'autre qu'une inclassable diversité. Autrement dit : des logiciens devenus fous comme notre époque en chie à la chaîne, sous les efforts cumulés d'une éducation-nationale-cul-bénie et d'une sous-culture moralisatrice.

Grâce à ce long processus de lavage de cerveau — et du colon — sans cesse recommencé, tout adulte en âge de donner son avis est selon toute vraisemblance acquis à tous les préceptes ridicules de l'égalité réelle, du relativisme dogmatique et de la foi-qui-n'ose-pas-dire-son-nom, et ne se prive pas de le faire savoir, dans un concert parfumé de flatulences onctueuses. On est pas loin du primitif Maman, viens voir le gros caca que j'ai fait : rien de ce qui se tire du modernisme béni ne saurait être en effet être dégoûtant ; l'époque est coprophage comme elle est infantile et narcissique. Aussi acquiesce-t-elle toujours : Oh mais tu en as fait un beau caca, maman est fière de toi mon chéri !

Ainsi, dire qu'il n'y a pas de règle sans exception, c'est empêcher, par principe, qu'il y ait ne serait-ce qu'une règle en dehors de la logique ; c'est aussi mécomprendre tout à fait ce qu'est une règle. L'exception confirme la règle : l'adage n'est ni stupide ni gratuitement paradoxal, il dit simplement qu'une règle générale, par définition, admet des exceptions, sans quoi, il n'y a pas de règle générale, mais bien une loi universelle. Il peut bien y avoir des pygmées géants, des femmes à barbe ou des Africains bridés : est-ce pour autant qu'on ne peut rien dire d'inverse, en général, concernant ses congénères ?

Sitôt prévenu de ces extrémismes absurdes et qui ne font qu'un, l'espace intellectuel est disponible pour une enquête empirique — et quant à elle, enfin potentiellement délivrée des a priori —, qui réponde à ces questions générales tout en les laissant ouvertes. Nous y reviendrons bientôt.



À venir : Généralités II : de leur nécessité.