Carnets de grenier

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jeudi 24 décembre 2009

Les Nains n'y changeront rien




Pour faire suite à la mention par Jack Marchal du nom de Léon Degrelle, un peu d'exaltation littéraire. Un des plus grands pamphlétaires, des plus grands écrivains français sans doute est belge, et il n'est pas même détesté ou maudit, mais simplement écarté. Pas esthète puisque politique, et pas accessible au jugement esthétique puisque profondément mauvais. – Il conviendrait de préciser qu'il y a le mal mauvais et le mal bon, dit transgressif… Il y aurait beaucoup à dire sur ce que cet exemple montre de l'immoralisme moral de l'époque, mais ce sera pour une autre fois.

Écarté donc. Pourtant il y a du Rousseau et du Joseph de Maistre chez Léon Degrelle, mais il y a aussi du Hitler – ceci devant sans doute, par quelque formidable tour de passe-passe rhétorique, annuler cela. La démocratie qu'il conchiait et qu'aujourd'hui l'on pare des milles vertus de l'évidence – que sont tristes les époques d'évidence ! et qu'elles servent mal ce qu'elles soutiennent… – ne vaut qu'en ce qu'elle pourrait faire entendre au peuple, c'est-à-dire à l'homme en entier, dans sa faiblesse et sa rudesse, cette beauté radicale, autonome mais incarnée, purement esthétique mais tout entière politique, d'un texte immoral, haineux et génial, en un mot d'un texte fou et sans égal dans son ordre.

Mais la démocratie réelle en reste là-dessus aux ravachols du pétard mouillé, et refuse au peuple – qu'elle prétend autonome tant que cela n'implique pas de libertés concrètes – tout ce qui est grand, pour lui opposer ce qui est bon, et qui par malheur, est petit et bien laid. La liberté pour quoi faire, si ce n'est pour faire entendre ce qui est inouï ? La démocratie pour quoi faire, si ce n'est pour donner à tous le sentiment enfin vif, enfin épuré des scories moralisatrices, des prêches, des religions qui s'ignorent, le sentiment tout simple et par lui-même si vrai du sublime ? Quitte à connaître enfin ce qu'on prétend haïr par humanité, au risque humain de l'aimer aussi par côtés.

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vendredi 25 septembre 2009

Schopenhauer, l'oreiller de la morale


«Dangerous Donkey»

Quoique Kant soit bien trop alambiqué pour demeurer tendance à une époque ou l'ont préfère, pour apprendre à lire aux enfants, en passer par les d'ineptes bandessinées plutôt que par quelque auteur simple et classique, songez un peu au recours sans cesse réitéré, et confit de certitude, à l'idéologie incertaine des « droits de l'homme », avant de lire ces quelques lignes de Schopenhauer, minant les fondements de la morale kantienne : vous verrez en quoi elles frappent juste, dans le mille de l'actuelle tartufferie.

Prenons les choses de haut : il est certes grand temps que l'éthique soit une bonne fois sérieusement soumise à un interrogatoire. Depuis plus d'un demi-siècle, elle repose sur cet oreiller commode, disposé pour elle par Kant, l'« impératif catégorique de la raison pratique ». De nos jours, toutefois, cet impératif a pris le nom moins pompeux, mais plus insinuant et plus populaire, de « loi morale » : sous ce titre, après une légère inclinaison devant la raison et l'expérience, il se glisse en cachette dans la maison ; une fois là, il commande ; on n'en voit plus la fin ; il ne rend plus de comptes.

— Kant était l'inventeur de cette belle chose, il s'en était servi pour chasser d'autres erreurs plus grossières ; il s'y reposa donc : cela était juste et nécessaire. Mais d'être réduit à voir, sur cet oreiller qu'il a arrangé et qui depuis n'a cessé de s'élargir, se rouler à leur tour les ânes, cela est dur ; les ânes, je veux dire ces faiseurs d'abrégés que nous voyons tous les jours, avec cette tranquille assurance qui est le privilège des imbéciles, se figurer qu'ils ont fondé l'éthique, parce qu'ils ont fait appel à cette fameuse « loi morale » qui, dit-on, habite dans notre raison, et parce qu'après cela, avec leurs phrases embrouillées […] ils ont réussi à rendre inintelligible les relations morales les plus claires et les plus simples : durant tout ce travail, bien entendu, pas une fois ils ne se sont demandé sérieusement en réalité s'il y avait une telle « loi morale », une sorte de Code de l'éthique gravé dans notre tête, dans notre sein, ou dans notre cœur.
[…]
Mais des concepts purs a priori, des concepts qui ne contiennent rien, rien d’emprunté à l’expérience interne ou externe, voilà les points d’appui de la morale. Des coquilles sans noyau. Qu’on pèse bien le sens de ces mots : c’est la conscience humaine et à la fois le monde extérieur tout entier, avec tous les faits d’expérience, tous les faits y contenus, qu’on enlève de dessous nos pieds. Nous n’avons plus rien sur quoi poser. À quoi donc nous rattacher ? À une paire de concepts tout abstraits, et parfaitement vides, et qui planent comme nous dans l’air.

A. Schopenhauer, Le Fondement de la morale, trad. Burdeau, LGF, 1991, pp. 37-38 & 58.