Carnets de grenier

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mardi 6 octobre 2009

Généralités III : finitude et apparences


Borrell del Caso, « Échapper à la critique ».

Rappels :
Généralités I : de leur possibilité.
Généralités II : de leur nécessité.




Voici donc la généralité rétablie dans sa dignité : elle est possible — car elle supporte et suppose l’exception, en ce qu'elle n’est pas logique dans sa nature — et même nécessaire — car nous ne saurions prendre le temps d’examiner chaque objet du monde pour plonger jusqu’au cœur de son essence propre : nous devons au contraire nous hâter de vivre et de juger.

Nous sommes finis : nous seulement car nous sommes mortels, et que notre temps pour penser et agir est limité, mais aussi parce que notre esprit ne contemple pas directement le vrai, mais peut seulement le chercher dans un jeu dialectique, indirect, réfléchi. La question du temps mis à part, si notre entendement était sans limites, il n’y aurait rien à approcher, rien à déjouer : nous nous contenterions de cette contemplation sans intermédiaire. Mais puisque nous sommes loin de posséder cette faculté d’intuition surnaturelle, nous devons nous contenter, le plus souvent, de ne pas voir l’essence dernière des choses que nous étudions.

Sur quoi s’appuient nos connaissances, si l’essence est invisible, et qu’il est nécessaire de faire comme si elle était ne l'était pas ? Nul n'étant tenu à l'impossible, il faut en passer par la croyance aux phénomènes, autrement dit par l’apparence.

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jeudi 1 octobre 2009

Généralités II : de leur nécessité


« Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens. »
— Attribué à Arnauld Amalric , pendant le sac de Béziers.


Sac de Béziers.

Rappel : Généralités I : de leur possibilité.

Nous n'avons fait jusqu'ici que rendre légitime la question de la généralité, en écartant le totalitarisme moral (c'est mal) ou logique (l’existence de cas particuliers exclut de fait toute généralité acceptable). Reprenons le problème de façon plus positive. En quoi généraliser est nécessaire ? Nous avons évoqué « l'embouteillage nominaliste » : détournons, pour expliciter plus précisément ce que recouvre l'expression, une des formes de pensées les plus utilisées pour étayer ce nominalisme épais.


« […] ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle ; c'est-à-dire […] éviter soigneusement la précipitation et la prévention, et de ne comprendre rien de plus en mes jugements que ce qui se présenterait si clairement et si distinctement à mon esprit, que je n’eusse aucune occasion de le mettre en doute. […]
Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entresuivent en même façon, et que […] il n'y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu'on ne découvre.  »

— R. Descartes , Discours de la méthode, deuxième partie.


C'est d’un tel appel au canon géométrique que le refus commun de s’appuyer sur toute généralité semble tirer sa légitimité. D'aucuns imaginent en effet que la méthode scientifique — mal comprise — permettrait une réforme définitive de tout mode de pensée non scientifique, c'est-à-dire que la rigueur méthodologique de type scientifique permettrait aux sciences humaines de sortir du laïus pour entrer dans le domaine balisé du discours véridique.

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