Par chance, mes voisins sont des gens formidables. Surtout ces jeunes pleins de vie qui passent régulièrement la soirée derrière la HLM de mon enfance. Ils aiment à se retrouver pour refaire le monde, jusqu'à des deux ou trois heures, à la fraîche, sur les bancs un peu tristes de la résidence. Résistant avec courage à l'absurde et liberticide prohibition, ils roulent et fument force cigarettes arrangées, sans vraiment se cacher, montrant par là à Sarkozy et à sa clique fasciste qu'ils n'ont pas peur, et que non, ils ne s'abaisseront pas à mériter, à travailler ni même à respecter les lois. Être aimé n'est pas leur problème : ce sont des hommes libres.

Comme tous les hommes libres, ils ont un scooter. Ils aiment positivement le faire savoir, sur les coups de minuit, en faisant vrombir sous le silence approbateur des fenêtres désertées, les gros cylindres de leurs étourdissants bolides. Nous aspirons tous à une telle vie d'épanouissement, de revente de drogue et de filles faciles : c'est pourquoi nous rêvons dans ces moments, mutiques, d'en être enfin avec eux. Dans leur mansuétude peut-être un peu complaisante, ils ont choisi de vivre parmi nous afin de nous instruire de leur exemple, comme Diogène, hors de la société des hommes, mais dans leur Cité pourtant. Ce banc modeste de bois râpeux, c'est un peu leur amphore.

Je n'ai pas la chance de faire partie de leur caste, ni non plus de celle des imposables. Car la situation, sur le plan comptable, est très simple, binaire même. Il y a ceux qui travaillent le jour, et dorment la nuit. Actuellement j'en fais partie, ponctuellement — vae victis. Me levant à cinq heures trente du lundi au samedi, il va de soit que j'aime assez dormir durant les cinq ou six heures qui précèdent. D'autres font comme moi, à quelques heures près. Les tâches qu'ils exécutent ont peu d'importance ici, le fait est qu'ils travaillent, ont des revenus, sont taxés. Cette richesse arrogante, inique même, aide, c'est bien naturel, nos jeunes amis engagés à parfaire l'éducation de leurs ainés bourgeois et bornés qui par le biais d'allocations diverses, les subventionnent avec déférence. D'où le schéma circulaire — donc parfait : tu bosses pour moi la journée, et la nuit, quand tu récupères pour gagner cet argent qui tombera en partie dans mon escarcelle, je te pourris la vie. Tout est bien. Ceux qui se plaignent n'ont qu'a faire comme eux après tout, les envieux, les incapables.

Doté de cette impeccable conformation mentale, je dors à poings fermés, la conscience propre, enrichi de cette culture urbaine, populaire, le cœur gonflé de ces bontés venues d'ailleurs. Par chance il fait chaud : je laisse donc mes fenêtres ouvertes, afin de faire entrer l'air frais, l'odeur du gazon sec, et la clameur sourde des palabres passionnés. Tels les sages des Lois de Platon, ils tiennent séance, la nuit, et clament d'une voix qui porte à qui veut ou non les entendre qu'il vaut toujours mieux être de la caste des enculeurs que de celle des enculés — aphorisme d'un rude bon sens, s'il en est.

Par malheur, il y a quelques nuits, quelque plat épicé m'étant resté sur l'estomac sans doute, j'ai fait un affreux cauchemar. C'était la jungle hostile. J'entendais clairement les éructations simiesques des bêtes, leurs grognements interrogatifs, leurs piaillements inquiétants. Je songeais à Greystoke, en sentant peu à peu me gagner la délicieuse excitation du chasseur d'Afrique. Je me souviens mal des détails, mais c'était un rêve exotique, roboratif et savoureux comme mon couscous de la veille.

Soudain, pris sans doute dans quelque corps à corps sauvage avec un gorille noir du Gabon, armant ma droite de rêve, j'écrase brutalement contre le mur décati de ma chambre mon bien réel petit juif. Voici que le cauchemar commence. Lorsque réveillé par la douleur, les clameurs du rêve ne cessent pas de résonner à nos oreilles, et qu'on ne sait plus ce qui est bien là et ce qui est dans la tête. Le genre d'instant où Althusser a étranglé sa femme sans le vouloir j'imagine.

Les yeux chassieux et la démarche hésitante, je cherche à la croisée l'origine de ces bestiales agitations, et constate — abomination de la désolation — que la clameur animale de mes rêves n'avait point sa source dans l'indigeste harissa de M. Garbit, mais bien dans la présence grimaçante de nos affables aréopagites, de ces vils macaques caquetants.

Saint Obama et tous vos séides bouchés de la tolérance inconditionnelle, protégez bien vos petites ouailles qui sentent le pourri. Il finira bien un jour par se trouver un saint homme authentique qui aura la justesse d'esprit de faire à ces étrons ce que le bon sens commande : les écraser sous le talon, et s'essuyer la semelle sur le rebord du trottoir en sifflotant d'aise. Ce sera là le triomphe de la justice, et chacun de leurs mécènes silencieux jusqu'ici ulcérés et craintifs sentiront enfin aux tripes le lénifiant baume de la haine longtemps rentrée, et qui finit par sortir dans un crépitement festif de douze ou de vingt-deux. Enfin, tout sera bien.