Carnets de grenier

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vendredi 4 septembre 2009

Mort pour la néo France

Nouveaux Français


Soirée chez un ami, ancien militaire, pas croisé depuis des mois, à B.

Quand des mecs du RIMA se sont fait tuer il y a quelque temps, un mec a parlé à la télé, un mec du régiment, qui fait partie d'une certaine élite de l'armée française, qui est en ligne, et il a dit quelque chose qui m'a choqué.

On lui demandé quel était son sentiment après la mort de ses camarades, et il a répondu : « J'ai peur ». J'ai eu envie de lui dire : tu t'es trompé de métier, il fallait pas faire ça, fallait être boulanger, bosser dans un bureau…

S'en suit un bref silence.

Si moi j'ai quitté l'armée — ça va faire très vieux con ce que je te dis… — c'est que je voulais pas mourir pour des gens qui en ont rien à foutre, un président qui en a rien à foutre… une France… c'est plus ma France.

mardi 18 août 2009

Richard Millet, Le premier mort

Entrée du camp de Chatila, 1982.


La guerre avait changé de nature ; il y avait eu les combats de rue du quartier Kantari, où j'avais appris à courir en tirant et où j'ai enfin tué mon premier ennemi : un type d'environ seize ans, au front ceint d'un bandeau noir, un jeune Mourabit qui avait surgi d'une porte d'entrée dont la beauté m'a sauvé la vie, car si je n'avais pas été tenté d'en admirer la voûte, je n'aurais pas aperçu ce type qui débouchait de sa maison avec l'intention de forcer le passage, sa kalachnikov demeurant muette tandis que, terrifié en même temps que pris d'une fureur que je ne n'avais jamais éprouvée, je lui vidais mon chargeur dans le ventre, sans détacher mes yeux des siens où je voyais une haine qui n'était peut-être qu'une manière de dépit ou une façon d'accompagner sa surprise et une insupportable douleur. Les dernières balles, je les ai tirées avec une joie extraordinaire, un sentiment de délivrance, de pureté, de puissance, et un souci de perfection qui me récompensait d'une si longue attente, me concentrant sur son ventre puis sur sa gorge de sorte que la tête s'est presque détachée du corps, mon sexe se dressant dans mon treillis, non par cruauté ou satisfaction sadique, mais parce que ce garçon me transmettait en quelque sorte sa virilité, la haine et le désespoir que j'avais vus dans son regard ayant d'ailleurs fait place, chez lui aussi, à une espèce de joie, celle sans doute de bientôt gagner le paradis et encore de sentir qu'il me donnait sa vie dans ce qu'elle a de plus évidemment puissant : l'instinct sexuel, enfin libéré, et qui, dès lors, ferait qu'on me regarderait autrement ; les hommes, bien sûr, qui m'accepteraient sans réserve (y compris Iskander qui, de distant et hostile, deviendrait quasi collant et veillerait désormais sur moi comme un grand frère, me reprochant seulement de n'avoir pas rapporté la tête du chien musulman disait-il, pour l'installer sur la calandre de l'Oldsmobile qui nous servait de transport de troupes, et, alors qu'il disait cela, je devinais qu'il en eût été capable : il le montrerait, quelques mois plus tard, à Dékouané), mais aussi les femmes, notamment Denise, qui combattait aux côtés de Roula, et dont le regard qu'elle portait sur moi me rappellerait en permanence l'expression de feu dévorant : or, elle ne me plaisait pas, malgré ses gros seins, et c'était encore Roula que je cherchais dans ce feu, dussé-je m'y consumer, m'y damner, la damnation, en ce cas, consistant à désirer en vain une femme qui est très précisément notre genre et qui, par cela même, sans qu'on sache pourquoi, sinon par une cruauté du sort, ou que nous nous l'interdisons à nous-mêmes, nous reste interdite.

Richard Millet, La Confession négative, Gallimard, « Blanche », 2008, pp. 195–197.





À venir : quelques mots sur cet ouvrage superbe de R. Millet.