J'avertis cette goton que j'étais vierge ; aussitôt elle me montra des sentiments du dimanche. Son respect trivial me rappela les façons de ces familles du peuple qui mènent au café leur fille le jour de sa première communion.
Mais la nature fit bon compte de ma rage et de mon envie de rire. Je perdais pied de plus en plus dans un trouble qui m'était inconnu, car les délices nocturnes où avaient échoué souvent mes rêves, j'avais toujours cru que c'étaient les transports de mon âme.
Et à peine est-ce que je fus nu dans les bras de la femme que cela devint délicieusement intolérable, que cela se résolut dans une faiblesse terrible.

Mais tout de suite après, apparut une peine écrasante. je pleurai en remettant mes vêtements, je ne regardai plus une fois cette femme qui, honteuse, ses gros seins blancs oppressant sa poitrine, hâta ma fuite.
En rentrant chez moi, j'évitai le baiser de ma mère pour qu'elle ignorât un triste parfum. Je n'y revins pas de six mois.

[…]

Les enfants sont comme les barbares : en sautant toutes les dégradations, ils sont capables d'aller d'un trait au plus bas et de s'en repaître avec leurs belles dents. Je fus traversé d'un désir fulgurant pour la laideur.

[…]

Je me sentis écrasé par mon immonde destinée. Je fis un signe à la première venue : une petite blonde maigrelette, à peine aperçue. Elle avait des cheveux de mousse qui sentaient le champagne bon marché, des jarrets fragiles.
Elle m'accorda quelques caresses sommaires qui rayonnèrent comme des prodiges. Puis ce fut la même brisure que la première fois, mais je la dissimulais avec un soin rageur.
Comme c'est long de se rhabiller.


Pierre Drieu la Rochelle, L'Homme couvert de femmes, Gallimard, « L'Imaginaire», 1925 pour la première éd., pp. 97–100.